Une élection présidentielle à haut risque

— Par Solofo Randrianja, enseignant-chercheur, Institut d’Etudes Politiques Madagascar

Au bout des cinq années prévues par la Constitution, les autorités convoquent les électeurs malgaches pour élire leur prochain président, le 16 novembre 2023. L’élection présidentielle sera suivie par les élections législatives qui confieront, sans nul doute, la majorité au parti du président élu. Les différentes élections au niveau local confirmeront dans la même logique cette tendance à l’hégémonie. C’est donc un enjeu important.

Un tel édifice n’est que la partie visible d’un mécanisme de verrouillage qui ne laisse que peu de place à l’opposition ; l’ensemble est éminemment crisogène. Comme pour la majorité des précédentes élections, celles à venir présentent tous les signes d’une crise politique dans un contexte économique plus que difficile et un climat social explosif. Madagascar est sans doute le seul pays au monde qui connaît une régression économique quasi continue depuis plusieurs décennies sans qu’il n’y ait un conflit d’importance sur son sol.

Cette régression s’est particulièrement aggravée sous les deux présidences d’Andry Nirina Rajoelina, qui ont connu plusieurs cas de famine, dans le sud de Madagascar notamment.

Mes recherches portent sur l’histoire politique de Madagascar. Dans cet article, j’analyse les facteurs qui vont influencer les résultats du scrutin présidentiel du 16 novembre à Madagascar.

Manipulation des institutions

La particularité de ces élections à venir est que nous ne sommes pas face à une crise provoquée par des opposants qui réclament le pouvoir et sont prêts pour cela à sortir du cadre constitutionnel. Ce fut le cas en 2009, quand Andry Rajoelina, le président sortant, est arrivé au pouvoir à la suite d’un coup d’Etat ; il l’exercera le temps d’un mandat légal pour ensuite se faire élire en 2018, avec une forte suspicion de fraudes électorales et sous la pression de l’importation d’armes de guerre acquises avant son élection.

Depuis, le régime en place est sorti de la légalité à plusieurs reprises en bafouant les lois et en manipulant les institutions, notamment pour préparer l’élection présidentielle à venir. La Commission électorale nationale indépendante (Ceni) chargée de l’organisation des élections est inféodée au pouvoir.

Le président de la Ceni n’est autre que le mari d’une ministre, pour ne parler que du sommet visible. La Haute Cour constitutionnelle abrite en son sein des hommes du président sortant. Celle-ci a notamment validé la candidature de ce dernier alors que la révélation de la nationalité française (qui lui fait perdre la nationalité malgache selon la Constitution qu’il a lui-même fait élaborer et voter en 2010) a été largement relatée dans la presse locale et internationale.

De même, selon cette même Constitution, le président du Sénat remplace à la tête de l’État le président de la République, démissionnaire et parti en campagne électorale. Or au dernier moment, le premier a refusé la charge pour la confier à un gouvernement collégial chargé d’organiser les élections et dirigé par le Premier ministre d’Andry Rajoelina, Christian Ntsay.

Mise au pas du pouvoir législatif

Le président du Sénat Herimanana Razafimahefa a cédé sous la pression, pour dénoncer quelques jours plus tard “une pratique mafieuse”, selon ses mots sur les antennes de France 24. Or, en décembre 2022, plus de deux tiers des députés de l’Assemblée nationale comprenant une grosse majorité de la coalition soutenant le régime ont déposé une motion de censure contre ce même gouvernement conduit par le Premier ministre Christian Ntsay. Ceux-ci se sont fait rappeler à l’ordre en quelques jours et ont finalement retiré la motion. Un fait qui illustre la mise au pas du pouvoir législatif.

Le président du Sénat sera destitué quelques temps plus tard par ses pairs, eux aussi inféodés au parti présidentiel, sous l’accusation de “déficience mentale”. Il sera remplacé par un militaire à la retraite, certes, mais connu pour ses méthodes brutales et sa proximité d’avec Andry Rajoelina.

Flou sur le nombre d’électeurs

Parmi les autres anomalies qui risquent de biaiser les résultats de cette élection présidentielle figurent le manque de transparence sur le nombre de votants et celui des bureaux de vote. Autant de raisons de penser que ces élections sont un jeu de dupes.

Or, la légitimité d’Andry Rajoelina est au plus bas dans l’opinion. Plusieurs scandales émaillent son mandat. Le dernier en date est ce que la presse locale qualifie de “Romigate”, du nom de sa directrice de cabinet, arrêtée en flagrant délit et emprisonnée au Royaume-Uni pour avoir négocié des pots de vin auprès d’une compagnie minière britannique, Gemfields, afin de lui accorder des concessions à Madagascar.

Pour embellir son bilan, lors d’une interview sur France 24 et RFI, Rajoelina relativise les chiffres de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. Il se targue de gagner la prochaine élection, grâce aux réalisations de son régime, dès le premier tour. Très confiant, il a même fait l’acquisition, hors de tout cadre légal, du logiciel Predator capable d’espionner citoyens normaux et surtout opposants.

Pour mobiliser ses partisans, Rajoelina joue donc sur la fibre sentimentale et populiste. Distribution de T-shirts, tickets repas, d’argent et giga concerts émaillent les débuts de sa campagne électorale, mobilisant des fonds faramineux et impossibles à contrôler.

Doléances de l’opposition

Pour ces raisons, 11 candidats sur les 13 en lice se liguent pour réclamer la disqualification d’Andry Rajoelina qui n’est plus citoyen malgache du fait de l‘acquisition volontaire de la nationalité française en 2014, la refonte de la liste électorale, la mise en place d’un gouvernement neutre le temps des élections, d’une Ceni vraiment indépendante et de la reforme de la Haute cour constitutionelle, sans parler d’une limitation légale des fonds utilisés lors de la campagne électorale.

Des manifestations de rue drainant de plus en plus de monde sont organisées dans la capitale, de manière quotidienne. Les forces de l‘ordre les répriment violemment, blessant au moins deux candidats sans parler des manifestants, obligeant les autorités à reporter la date du premier tour, qui était initialement prévu le 9 novembre.

Un rapport de force à l’issue incertaine s’est donc engagé entre d’une part Andry Rajoelina, parti en campagne pratiquement tout seul, et les autres candidats qui demandent au préalable une clarification des règles.

Dernièrement, Roland Ratsiraka (neveu de l’ancien président Didier Ratsiraka), l’un des 11 candidats a révélé à la presse qu’un proche de Andry Rajoelina lui avait proposé de financer sa campagne s’il se lançait dans la bataille électorale. Comme c’est le cas du candidat Siteny Randrianasoloniaiko, sorti du sérail et arrivé sur le tard dans les rangs de l’opposition, donné, avant le bras de fer, comme un de ceux qui ont le potentiel de battre Andry Rajoelina.

Dans de telles conditions, aller aux élections ne ferait qu’aggraver une crise latente. Les risques de division des forces armées politiquement instrumentalisées sont réels. Ceux qui sont dans la chaîne de commandement perçoivent des rétributions en échange de leur loyauté. De toutes les manières, la paralysie du secteur formel incluant la machine administrative aggravera le ce marasme économique.

La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un site d’actualités à but non lucratif dédié au partage d’idées entre experts universitaires et grand public.

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