LETTRE OUVERTE À MONSIEUR LE MINISTRE DES MINES ET DES RESSOURCES STRATÉGIQUES AU SUJET DE LA SOCIÉTÉ HARENA RESOURCES ET DE SON PROJET D’EXTRACTION DE TERRES RARES À AMPASINDAVA DANS LA RÉGION DIANA

Monsieur le Ministre,

Suite à la fermeture de la société chinoise REENOVA et à l’acquisition de ses actions par la compagnie minière australienne Harena Resources (75% des actions) et par la société anglaise Citius Resources Plc (25 % des actions) en avril 2023, le projet d’extraction de terres rares situé sur la péninsule d’Ampasindava dans la région Diana fait actuellement l’objet d’une intense campagne de communication au niveau international par les dirigeants de la société Harena Resources.

Au vu des messages et du récit véhiculés pendant cette campagne, les signataires de cette Lettre Ouverte tiennent à vous alerter au sujet des déclarations mensongères qui y sont faites de manière délibérée afin d’induire les principales parties prenantes en erreur, en particulier les communautés concernées, les autorités nationales compétentes et les investisseurs que les promoteurs de ce projet s’efforcent de convaincre.

En effet, dès le début de cette campagne, le Directeur Technique Exécutif de Harena Resources, Mr. Allan Mulligan, a présenté les plans de ce projet à la conférence internationale « Battery Minerals Conference » en mars 2023. Au cours de cette présentation, il a fait des déclarations trompeuses concernant le soutien des communautés concernées à ce projet, la consultation effective de ces communautés, et les risques sociaux et environnementaux liés au projet. De telles affirmations mensongères ont encore été réitérées par Mr. Joe Belladonna, le Directeur Général de Harena Resources, dans la publication « Investor Update » en mars 2024.

Déclarations fallacieuses à propos de la consultation et du soutien des communautés au projet

Ces déclarations ont été faites en dépit des nombreuses preuves rendues publiques de l’opposition des communautés locales concernées au projet, notamment des pétitions, des communiqués de presse, des séances de plaidoyer directes auprès des Parlementaires, ainsi que des articles dans les médias nationaux et internationaux1.

Bien que Harena Resources ait affirmé lors de la présentation à la Battery Minerals Conference qu’elle avait consulté les communautés concernées et que le projet bénéficiait de leur soutien, en réalité les responsables du projet n’ont effectué qu’une brève visite en janvier 2023 dans le village où se trouve le camp de base du projet, et les quelques membres de la communauté qui étaient présents ont simplement été informés que le projet reprendrait bientôt ses activités. Cette visite de janvier 2023 a eu lieu avant que Harena Resources ne reprenne effectivement le projet. Il n’y a pas eu d’autre rencontre avec les communautés concernées depuis que le projet a changé de mains en avril 2023.

En mars 2024, Mr Joe Belladonna affirmait de nouveau dans « Investor Update » que : « Afin de préparer les futurs travaux sur le site et de nous assurer que nous disposons d’une licence sociale d’exploitation, nous avons consacré du temps à l’établissement de relations significatives avec la communauté. La force du soutien qu’ils ont exprimé pour notre opération Zero-Mal (Harm) est merveilleuse. Il s’agit d’une opération à faible coût qui n’a pratiquement pas d’impact sur l’environnement tout en donnant la priorité aux emplois pour les membres de la communauté. »

En réalité, selon nos sources locales, Harena Resources a consacré le temps de sa visite sur le terrain à une rencontre avec certains employés locaux du projet et les autorités locales d’une commune affectée par le projet, et à la distribution de produits alimentaires (riz et huile) aux membres des communautés qui avaient été sélectionnés pour l’occasion. Ces derniers n’ont pas été consultés au sujet du projet, mais ont seulement été informés de sa reprise imminente.

Une telle démarche n’est pas conforme aux réglementations nationales qui exigent des consultations publiques préliminaires pour tous les projets miniers à grande échelle, en conformité avec le Décret MECIE. En outre, elle suit la même approche qui a déclenché l’opposition de longue date des communautés affectées.

En effet, depuis 2015, les communautés affectées s’opposent au projet d’exploitation des terres rares au motif qu’il portera atteinte à un grand nombre de leurs droits humains, notamment leurs droits fonciers et leurs moyens de subsistance, car la plupart d’entre elles vivent principalement de la pêche et de l’agriculture, en particulier de cultures d’exportation à forte valeur ajoutée telles que la vanille, le cacao et le café, qui seraient détruites par ce projet d’exploitation minière.

De nombreuses actions de protestation ont été entreprises par ces communautés depuis près d’une décennie et sont toujours en cours. Elles n’ont cessé de demander aux autorités de l’État Malagasy d’arrêter toute tentative de production pilote de ce projet et de rejeter sa demande de permis d’exploitation. Il est clair que ces communautés affectées, soutenues par des organisations de la société civile locales, régionales et internationales, et en solidarité avec les habitants d’autres régions, continueront à s’opposer activement au projet et à le contester indéfiniment.

Dangereuses omissions concernant les impacts réels et les risques liés au projet

Harena Resources a assuré les participants à la Battery Minerals Conference que « le projet d’Ampasindava représente une nouvelle génération de projets d’extraction à très faible impact, entièrement réhabilités, qui laisseront une empreinte environnementale minimale pendant les opérations et un impact résiduel nul, tout en produisant des quantités significatives de minéraux “verts” vitaux pour le secteur des énergies renouvelables. »

Il est clair que ce message occulte sciemment les risques environnementaux et sanitaires liés au projet d’extraction de terres rares qui aura des impacts désastreux et irréversibles sur la péninsule d’Ampasindava, laquelle constitue un haut lieu de la biodiversité mondiale, et a été officiellement désignée comme zone protégée en 2015 sur une superficie de plus de 900 km2. Bien que la technologie envisagée par Harena Resources (lixiviation en tas) soit décrite par son directeur comme “une opération qui n’a pratiquement pas d’impact sur l’environnement”, ce processus est largement connu pour être extrêmement dommageable pour l’environnement.

Il est bien connu que l’exploitation des terres rares peut avoir des conséquences graves et irréversibles sur l’environnement et la santé des populations. Cela a été démontré par des expériences en Chine et en Mongolie qui ont été largement publiées dans plusieurs rapports médiatiques. Ce projet d’extraction de terres rares constitue une menace imminente pour les communautés et le milieu naturel environnants.

Il entraînera indubitablement une déforestation massive et la destruction d’environ 2 200 hectares de couverture végétale naturelle et de ressources biologiques nécessaires à la subsistance des communautés locales. En outre, des produits chimiques tels que le chlorure de sodium, le sulfate d’ammonium et l’acide oxalique, ainsi qu’une énorme quantité d’eau doivent être utilisés, ce qui entraînera des rejets toxiques et radioactifs considérables (acides, thorium,…) sur les terres, les nappes phréatiques et les populations humaines et animales environnantes.

Les préoccupations concernant les risques d’une mauvaise manipulation des déchets toxiques sont exacerbées par le fait que Harena Resources n’a aucune expérience dans le développement de mines de terres rares et dans l’utilisation d’une technologie de filtration en surface telle que la lixiviation en tas. En témoigne le fait que son directeur parle d’une « opération Zero-Mal (Harm) » utilisant “une faible solution de sulfate d’ammonium”, alors que cette technique est en réalité très dommageable et qu’elle s’est avérée entraîner une grave dégradation de l’environnement et des effets néfastes sur la santé des travailleurs et des communautés avoisinantes en Chine, où cette technologie est interdite depuis 2011.

Le directeur de Harena Resources semble ignorer que pour produire une tonne de terres rares, il faut 7 tonnes de sulfate d’ammonium et 1,5 tonne d’acide oxalique. Selon The Guardian, “la production d’1 tonne de terres rares génère 1 000 tonnes d’eau contaminée par du sulfate d’ammonium et des métaux lourds, et 2 000 tonnes de déchets toxiques”. Il y a un risque élevé de déversement des eaux empoisonnées issues du processus de lixiviation en tas des argiles sulfatées à Ampasindava dans les cours d’eau jusqu’au canal du Mozambique, ce qui entraînerait très probablement la pollution de toute les aires marines environnantes. En outre, les pluies torrentielles bien connues du Nord de Madagascar et les cyclones risquent également de submerger les sites où les boues toxiques sont stockées en tas, répandant les produits chimiques dans l’eau et la terre de toute la région.

Monsieur le Ministre,

Bien que les dirigeants de Harena Resources clament haut et fort que votre soutien et même celui du Président de la République leur est acquis, nous osons espérer que le contenu de cette Lettre Ouverte vous apportera un autre éclairage indispensable sur la nature réelle des déclarations de cette société et de son projet.

À travers cette Lettre Ouverte, les signataires de ce Communiqué vous appellent à prendre en considération les revendications exprimées par les communautés concernées de leurs droits fondamentaux sur les terres, leurs moyens de subsistance, leur environnement et leur santé. Nous vous exhortons à ne pas sacrifier la souveraineté du Peuple Malagasy sur ses ressources naturelles et ses intérêts économiques au profit d’une société étrangère qui a montré clairement son intention d’exploiter les terres rares dans notre pays sous un voile de mensonges et d’opacité.

Antananarivo le 13 mai 2024

1 https://youtu.be/p97VnMyoWhY
(a) Sauvez l’archipel de Nosy Be et la péninsule d’Ampasindava! – CRAAD-OI (craadoi-mada.com)
(b) PETITION: NI ESSAIS PILOTES, NI PERMIS D’EXPLOITATION ! La presqu’île d’Ampasindava et ses environs ne doivent pas être sacrifiés pour l’exploitation des terres rares – CRAAD-OI (craadoi-mada.com)
Terres rares – CRAAD-OI (craadoi-mada.com)
PARTIE II, Briefing des députés de Madagascar sur le projet d’exploitation des Terres Rares – YouTube
(a) Vive inquiétude suite à un projet d’extraction de terres rares – CRAAD-OI (craadoi-mada.com)
(b) Facebook (local TV news: 20 June 2021))
(c) Troubled firm aims to mine Madagascar forest for rare earths elements (mongabay.com)

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