JEAN BRUNELLE RAZAFITSIANDRAOFA « Le pouvoir s’aventure dans un pilotage à vue »

Prêt à rempiler pour un nouveau mandat, le député d’Ikongo Jean Brunelle Razafintsiandraofa l’affirme sans ambages. Tout en précisant que ce sera avec ou sans l’IRD/MAPAR sous les couleurs desquels il a été élu.

Mais hier, lors d’un entretien à bâtons rompus, ce vice-président de l’Assemblée nationale a aussi adopté un ton plus ou moins critique en évoquant la situation globale actuelle dans le pays.

Comment voyez-vous la marche actuelle des affaires nationales ?

En l’état actuel des affaires nationales, il est difficile de dresser un bilan très positif de la situation comme le témoigne la grande pauvreté de la population, l’insécurité et l’inflation. L’environnement dans lequel la population se trouve est assez morose. Nos compatriotes vivent désormais au jour le jour. Côté gouvernant, les mesures destinées à pallier à cette situation très délicate peinent à voir le jour. À certains égards, on pourrait penser que le pouvoir exécutif s’aventure dans une sorte de pilotage à vue. D’autant plus que les actions sont parfois éparpillées faute de coordination. Le citoyen lambda lui n’est plus en quelque sorte concerné par la gestion des affaires publiques et se sent délaisser dans un contexte où l’État lui-même est absent et n’arrive pas à se placer au-dessus de tous les maux du pays.

En la situation actuelle, que suggéreriez-vous comme priorité à entreprendre pour la relance socioéconomique du pays ?

Répondre à la problématique de la relance socio-économique du pays repose sur la nécessité de faire participer la population au développement du pays. Nous devons alors renforcer nos chaines de production en créant de la valeur ajoutée. À cet effet, nous pouvons améliorer nos rentrées de devises en allant plus loin dans le processus de production à travers l’exportation de produits semi-finis ou de produits finis. Se concentrer un peu plus sur les activités de transformation pour une plus grande rentabilité, nos actions doivent aller dans ce sens.

La sécurité doit aussi être une priorité pour arriver à un développement. L’État doit s’y investir pour rassurer la population et les investisseurs. D’ailleurs, n’oublions pas que la sécurité est une des conditions pour l’amélioration du climat des affaires dans le pays.

En outre, il est plus que primordial de se concentrer sur les projets sociaux en se gardant de toujours adopter une approche inclusive. Parmi ces projets sociaux, celui de la légalisation du « toaka gasy » que j’ai initiée depuis 2019, figure parmi tant d’autres. Ce type de projet permet à une grande frange de la population d’améliorer ses rentrées d’argent. L’État doit ainsi s’enquérir de ces petits projets sociaux pouvant aboutir à des résultats dans le court terme à travers leur promotion et leur encadrement. À aucun moment, l’État ne doit être un blocage pour ces types d’activités, attitude souvent dictée par des intérêts antipatriotiques.

Depuis ces dernières semaines, on semble déjà vivre une période de pré-campagne en vue notamment de la prochaine présidentielle. N’est-ce pas prématuré ?

Certainement, nous ne sommes pas encore familiarisés avec les pratiques que vous qualifiez de pré-campagne. Je ne me hasarderai pas à cerner un tel concept, tant il est difficile de le définir sans se verser dans des considérations très connotatives sinon péjoratives. Nos approches sur ce concept sont toujours marquées par une grande part de subjectivité. Ce qui est certain, c’est que dans la vie politique, toute démarche effectuée a indéniablement une fin en soi. Tout est ici question de communication politique. À travers ses discours, lors de ses interventions, à chaque sortie, le politique a toujours intérêt à mettre en avant ses approches idéologiques pour permettre de garder, d’entretenir et de véhiculer sa pensée vis-à-vis de ses partisans et plus largement de ses futurs électeurs. Pré-campagne dites-vous ? Le mot est confus, car ces pratiques du politicien sont permanentes dès lors qu’il se trouve dans l’arène politique. À la limite, on peut affirmer que le politicien s’adonne à une propagande permanente en vue de la préparation des prochaines élections. D’ailleurs, tel est l’essence des partis politiques et des politiques, participer aux élections et faire évoluer la vie politique par l’accession et l’alternance au pouvoir.

Et comment voyez-vous les pratiques politiques actuelles dans le pays, sont-elles « manara-penitra » comme ces réalisations qui ont été inaugurées ?

Le mot « manara-penitra » est devenu très lourd de sens et a perdu le mérite qu’on lui accordait au début. Pour ma part, une politique « manara-penitra » s’entend comme celle qui répond à l’aspiration de la population ou du moins tend à la satisfaction des besoins de la population. La réalité nous rattrape très rapidement dès que l’on se penche sur le quotidien de nos compatriotes. Nous vivons encore dans une insécurité grandissante, dans une peur continue d’être la proie des malfaiteurs. À côté de cette crainte physique, une terreur psychologique nous guette également avec une vie plongée dans la misère et dans la pauvreté. Rappelons qu’avec l’inflation actuelle, chaque ménage peine à se relever et à faire face à son quotidien. Avec toutes ces considérations, revoir le sens du terme « manara-penitra » serait opportun en insistant un peu plus sur les actions en faveur de la population malagasy.

À part le phénomène dahalo » qui sévit encore dans nombreuses localités, dont particulièrement la récente tuerie qui a eu lieu à Ankazobe, les rapts et kidnapping d’enfants prennent aussi de l’ampleur. Que pouvez-vous dire ?

Vous savez, personnellement, je pense que l’insécurité et les actes de barbarie trouvent leur source dans la grande corruption au sein de la justice. À partir du moment où la population n’a plus confiance en la justice, l’insécurité règne. Il est ainsi nécessaire de lutter contre la corruption dans le monde de la justice et que chaque affaire soit jugée conformément à la loi, faisant que les auteurs d’infraction seront effectivement sanctionnés.

D’un autre côté, nous devons également renforcer les mesures sécuritaires au niveau des forces de l’ordre pour assurer la sérénité de nos compatriotes. Nombreux sont les acteurs concernés par la problématique, mais chacun d’entre eux devra prendre leur responsabilité.

Concernant les rapts et les kidnappings, je me pencherai plutôt sur l’appât de l’argent facile. Le recours à ces pratiques malsaines s’est surtout amplifié très récemment, car ceux qui s’y adonnent n’ont plus d’horizon vers où se tourner pour subvenir à leurs besoins financiers. Dans leur tourmente, ils sont naturellement attirés par ce genre d’activités illicites en pensant gagner aisément des sommes astronomiques.

Pour le cas « dahalo », je reste convaincu qu’il s’agit d’un phénomène créé à Madagascar pour un but assez particulier. L’éradication de ce phénomène passe par l’application effective des lois vis-à-vis de ces personnes malintentionnées et par l’abandon des concepts de « tsy maty manota ». Ce travail herculéen peut se révéler difficile et nous aurons indéniablement à surmonter de nombreux obstacles, mais ce sera un passage obligé pour éliminer le problème à la racine.

On parle actuellement d’une concertation nationale, nécessaire et utile selon les revendications de ses partisans, pour mettre les choses au clair avant les prochaines élections. Êtes-vous de cet avis ?

Je reste toujours sur ma position classique sur la nécessité d’aller vers une concertation nationale. Mais soyons clairs, une concertation nationale digne de ce nom doit permettre d’améliorer le climat politique et économique du pays. Cette concertation nationale « lucide » sera l’occasion de nous remettre en cause et de capitaliser les expériences depuis ces 60 années d’indépendance. L’objectif sera de déterminer vers quel horizon nous allons avancer et d’asseoir notre vision de l’avenir. Elle nous permettra également de concevoir les stratégies et les politiques à mettre en œuvre pour une gestion optimale et rationnelle des potentialités du pays, que ce soit économique ou minière… En effet, jusqu’à ce jour, nous n’arrivons pas à déployer les mesures nécessaires pour répondre à nos propres aspirations, aux aspirations de la population. Cette concertation aboutira à l’instauration d’une plus grande indépendance dans la gestion de nos affaires publiques, politiques et socio-économiques.

Pour en revenir à l’élection présidentielle : pensez-vous qu’Andry Rajoelina sera réélu s’il se présente pour un deuxième mandat ?

L’obtention d’une nouvelle onction populaire repose sur de nombreuses considérations. Mais à ce stade, il est difficile de répondre de manière catégorique à cette question. Le Président de la République exerce encore ses fonctions et il dispose également d’un laps de temps considérable jusqu’aux prochaines élections pour lui permettre de réaliser et de concrétiser ses « velirano ». D’ici là, la population et les électeurs auront tout le temps nécessaire pour apprécier ses actions et le juger le moment venu avec le verdict des urnes.

Vous-même, pensez-vous également briguer un nouveau mandat et au nom de qui ou à titre indépendant après ce qui s’est passé avec l’IRD/MAPAR ?

Se porter candidat pour les prochaines législatives n’est pas uniquement un choix personnel, c’est aussi une réponse à une demande persistante de la population du District d’Ikongo. Très humblement, je me soumettrai une nouvelle fois à leur vote à la prochaine occasion. Sous quelle bannière ? L’obtention d’un mandat de la part d’un parti politique relève de l’appréciation souveraine du bureau politique. Donc, seule ma candidature demeure certaine, tout le reste n’est pas encore acquis.

Recueillis par
Miadana Andriamaro

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